Des souvenirs, il m’en reste comme autant de feuilles accrochées aux branches des arbres. Sûrement quelques unes sont tombées sur l’herbe et ont été emportées par le vent. C’est marrant comme les souvenirs peuvent prendre un malin plaisir à revenir faire un tour dans l’esprit. Vous est-il arrivé de rêver d’une personne dont vous aviez complètement oublié l’existence pendant des dizaines d’années? Rencontrer une personne que vous avez l’impression d’avoir déjà vue à quelque part, mais dont on ne peut plus très bien situer en quelles circonstances?
Il en va ainsi pour tout ce qui peut me rappeler une vision de jambes en nylon. Existe-t-il une hiérarchie inconsciente dans le classement de ces souvenirs, qui fait qu’un petit émoi en surclasse un bien plus important? Je n’en sais rien, mais je le constate parfois. En voici quelques uns, oubliés, resurgis, qu’importe l’intensité des frissons qu’ils me procurèrent. La seule chose dont je suis sûr, c’est que je les ai vécus. Et pour mon plus grand plaisir, je peux leur coller un souvenir musical
Quand j’avais une douzaine d’années, j’avais un peu d’argent de poche, mes parents n’étaient pas radins, mais pas spécialement ce que l’on pourrait classer dans la catégorie fortunés. Une bonne partie de mon argent de poche partait dans l’achat de disques. En ville, il y avait un grand magasin assez bien achalandé au niveau musique. On y trouvait les tubes du moment et surtout ce qui m’intéressait un peu plus, les choses un peu moins visibles, que je trouvais souvent plus intéressantes. Le rayon était tenu par deux vendeuses, certainement plus âgées que moi, mais pas encore des dames. Quand je pense que maintenant, il est quasiment impossible de mettre la main sur une vendeuse dans un grand magasin, au sens figuré bien sûr, je me dis que ces deux-là avaient la belle vie. Deux vendeuses pour un petit rayon, les patrons étaient certainement plus paternalistes, on avait pas encore inventé le stress. La particularité des rayons de disques dans les années 60, c’est qu’on pouvait écouter les disques moyennant de se mettre aux oreilles deux trucs qui ressemblaient à des cornettes de téléphone sans le micro. Je ne me privais pas de ce plaisir, qui m’était en quelque sorte accordé par les vendeuses. Il y avait une bonne raison à cela. Comme ces demoiselles sur le coup de 16 heures avaient une petite soif, elles m’envoyaient à l’étage en dessous, au rayon alimentation acheter des boissons. C’était strictement interdit de consommer des boissons pendant le travail, aussi je devais être aussi discret que possible en leur apportant la marchandise. La récompense était un beau sourire et champ libre pour écouter ce que je voulais. L’une d’elles, la plus sympathique, m’intéressait plus particulièrement. La bonne raison, elle portait toujours des jupes et bien sûr des bas. Elle semblait résister à l’invasion des collants. Sur mon tabouret de bar, les écouteurs à l’oreille, j’avais tout loisir d’observer. Selon l’étroitesse de la jupe, je voyais les bosses de ses jarretelles dans une sorte de spectacle avec des haut et des bas et des bas, si je puis dire. Je ne sais pas si elle était dupe de mes regards, mais je crois que quand elle se baissait en cherchant je ne sais trop quoi dans les petites armoires en bas du comptoir en forme de fer à cheval, j’avais souvent l’occasion de voir une ou l’autre de ses jarretelles, toujours blanches, c’était une habitude chez elle. Même que quelquefois elle s’accroupissait face à moi, j’avais alors un vision dans son entrejambe, avec à la clef une petite culotte, elle aussi blanche. Vous comprenez pourquoi aujourd’hui j’ai une sacrée collection des disques, heureusement qu’elle était pas au rayon des aspirateurs. Ah vous collectionnez les aspirateurs? Ben oui, il y en a qui collectionnent les timbres, alors! Là, je rigole un peu, mais je dois quand même préciser que une ou deux belles pièces de ma collection, c’est elle qui me les a vendues, car j’achetais aussi. J’ai profité de ce petit jeu pendant des mois, puis un jour elle est partie, remplacée par une collègue qui n’avait jamais soif. L’autre était toujours là, mais elle ne semblait plus avoir soif. Sait-on jamais, peut-être qu’un jour la miss aux jarretelles blanches va passer par ici? Elle devrait se reconnaitre, se rappeler, en éventuellement me dire si ce jeu était involontaire ou bien calculé. Il est vrai que j’étais bien jeune, plutôt mignon, mais je paraissais plus âgé, un petit ami possible? Je n’ai jamais envisagé la chose sous cet angle là, car pour moi c’était déjà une vieille…
Elle pouvait bien ressembler un peu à cela
Ces deux-là, c’est elle qui me les a vendus, je les ai toujours!
Quand je suis parti faire mon voyage cet automne, je suis tombé par hasard sur une vieille connaissance. Mes parents étaient assez liés, et moi par la force des choses, avec une famille du village à côté. C’était presque ce que l’on peut encore classer dans le genre famille nombreuse. L’ambiance était assez décontractée, un brin anarchiste. Il n’y avait que des garçons, rien que des garçons, dont le plus jeune avait quand même quatre ans de plus que moi. Ils sont encore aujourd’hui d’excellents copains, du moins ceux qui restent. J’aimais bien aller chez eux, le père m’avait à la bonne et il faisait tout pour que je meure pas de faim, ni de soif. C’était à la bonne franquette, la vaisselle n’était pas en argent, mais généreusement remplie de cochonailles et autres plats campagnards. Le fils ainé était fiancé avec une dame, ben oui à l’époque on n’envisageait pas un partenariat avec un membre du même sexe, assez jolie, mais plutôt grassouillette. Vous l’avez deviné, la dame que j’ai revue lors de mon voyage. Un jour alors que je traînais chez eux, ils se sont ramenés dans ce qui servait de salon. Il y avait une sorte de canapé sur lequel ils s’assirent, je devrais dire s’allongèrent. Monsieur entreprit, sous mon nez, de prouver à Madame combien il l’a trouvait sympathique. Malgré une légère protestation de sa part concernant le spectacle qui pouvait choquer mes jeunes yeux, vite balayé par un « il doit bien avoir aussi une copine », ils commencèrent leur petite entrevue rapprochée. Monsieur roula quelques galoches à sa belle, tout en ayant la main qui avait tendance à s’insérer sous ses jupes, comme Cousteau explorant un récif corallien. Si le spectacle n’alla pas au-delà, les jarretelles de la future mariée m’apparurent dans toute sa splendeur, noires avec de longs élastiques. Je me souviens très bien qu’au moment où ils sont venus, je lisais un Lucky Luke, tout en écoutant « Salut les Copains ». J’ai oublié le titre de l’album, mais pas la chanson qui passait à la radio. encore moins le spectacle. Quand j’ai revu la dame récemment, veuve et retraitée, j’ai eu un sourire amusé: « Ah Josiane, comment vas-tu depuis le temps? ».
A Salut les Copains, on passait ce disque quand ils sont arrivés, le conseil ne s’adressait pas à moi…
Sautons quelques années, les collants avaient envahi la vie quotidienne. Il y avait quand même un ou deux résistantes. Ce jour-là, j’ai eu un de mes derniers beaux spectacles dans le genre. J’attendais le train dans le hall de la gare de la ville voisine. J’avais dépensé un peu d’argent pour m’acheter mon traditionnel disque du samedi, cette fois-ci un album, « Ball » d’Iron Butterfly. Deux copines se sont amenées, plutôt mignonnes, tout à fait de mon âge. Elles étaient en pantalons, mais mon oeil aperçut quelque chose de splendide. Une avait visiblement un porte-jarretelles sous ses pantalons, il n’y avait aucun doute. Quatre bosses sous un pantalon gris au bon endroit, c’était assurément pas des piqûres de guêpes. Comble de bonheur, j’avais l’air de l’intéresser. Elle entreprit alors, avec la complicité de sa copine, de me le faire savoir avec des ruses indirectes, mais bien féminines. A l’époque, il y avait encore dans quelques gares, de ces petits appareils de cinéma où pour une petite pièce on pouvait voir un film genre Charlot ou Laurel et Hardy de trois minutes. Elles mirent une pièce dans l’appareil et les commentaires fusèrent. Je ne sais pas quel était le film, mais je compris assez vite qu’ils s’adressaient indirectement à moi, j’étais le héros, en mieux, qui défilait sur l’écran. Je dois avouer que j’étais encore assez timide en ces temps mémorables. Quand j’y pense maintenant, j’ai l’impression figurée d’avoir perdu quelques kilos, mais bref. Pour finir, la conversation s’est engagée genre: « Tu habites chez tes parents?; c’est ta soeur?; tu vas encore à l’école? ».
Un peu pressé par le temps, je devais absolument aller donner un coup de main à la préparation d’une soirée villageoise, je suis parti. Nous avons convenu de nous revoir quelques jours plus tard. Je lui ai fait promettre une chose, c’est de venir habillée exactement comme elle était ce fameux jour, sans faire allusion directement au porte-jarretelles sous le pantalon. Mais comme en disant cela, j’avais les yeux fixés sur les bosses de ses jarretelles, je pense qu’elle avait compris. Hélas, le destin en décida autrement, je ne l’ai jamais revue. Un deuil dans ma famille m’empêcha d’aller au rendez-vous. Comme je n’avais pas d’adresse précise où elle habitait, j’allais quand même pas sonner à toutes les portes, non?
La chanson qui m’avait fait acheter le disque avant la rencontre
Le bas fantaisie n’est pas une invention d’aujourd’hui