C’était il y a tout juste 50 ans jour pour jour, mes premières vacances loin de papa et maman. J’allais enfin voir la mer, presque un privilège à l’époque quand on habitait la montage à des centaines de kilomètres. Le contexte de l’époque était assez souriant, mais on vivait sans doute plus modestement que maintenant. Le travail, on en trouvait facilement mais ce n’était pas pour autant la fortune assurée, les salaires étaient modestes. Par chance, ma famille était plutôt du coté des gens qui vivaient avec une certaine aisance. Mas parents travaillent les deux, mon père à la maison et ma mère dans un bureau. Ils avaient trouvé que m’envoyer en colonies de vacances était une bonne idée, le fameux changement d’air, remède souverain pour les gens qui n’étaient pas malades, gain assuré de faire augmenter son capital santé. Je dirais aussi plus ironiquement que l’air était certainement beaucoup moins pollué que maintenant. Des bagnoles, il y en avait, mais ce n’est en rien comparable au nombre qui circule aujourd’hui. Malgré tout, l’envoi du fiston en vacances par le moyen choisi représentait quand même un certain sacrifice financier. Pour autant que je me rappelle, le somme à payer représentait à peu près la moitié d’un mois de salaire à ma mère. Le séjour durait trois semaines, certes pendant ce laps de temps, ils n’avaient pas à me nourrir, ni à s’occuper de moi, des vacances pour eux aussi d’une certaine manière. Dans un exercice de mémoire, je vais vous narrer un peu ces vacances, rassurez-vous il y a un souvenir de nylon, l’un des plus anciens et précis qui sont encore ancrés dans mes souvenirs.
Le voyage durait une douzaine d’heures, en train bien évidemment. Le but était Cesenatico au bord de la mer Adriatique. Comme le train direct ne passait pas par là, nous avons débarqué à Cesena. Ne vous étonnez pas de me voir citer des localités par-ci par-là, mais j’ai toujours eu une excellente mémoire pour les noms géographiques, pour autant que j’y ai mis les pieds au moins une fois. Cette ville est revenue dans mes souvenirs bien plus tard, c’est là qu’est né le fameux coureur cycliste Marco Pantani, roi de la montée en vélo sur les paradis artificiels. Evidemment, il n’était pas là pour me regarder passer, encore en train de se balancer dans les bijoux familiaux de papa. Le reste du voyage se faisait en car. Je découvrais l’Italie pour la première fois, ma moitié italienne semblait s’en accommoder très bien. Le voyage en train fut merveilleux, j’adorais ça. Un souvenir marquant pour moi, je crevais de soif, il n’y avait pas de wagon restaurant et nous avions très peu d’argent, on avait conseillé aux parents de nous donner 3000 lires, de quoi se payer quelques glaces, mais c’est tout. Il y avait une chanson que je fredonnais presque obstinément, c’était aussi un tube en Italie, chanté par la même, mais en italien, c’est celle-ci:
Nous avons débarqué dans ce qui serait notre « caserne ». Un repas modeste nous attendait, une sorte de jus de chaussettes qui avait le prétention de ressembler à du thé avec du citron et quelques biscuits. J’ai trouvé cela infect. Heureusement par la suite, la cantine s’améliora bien, une délicieuse cuisine italienne mise en musique par une grosse mama qui devait bien faire dans les cent kilos à poil et dix de plus avec les habits. C’est assez bizarre, mais le cuisine italienne était encore relativement peu connue hors des frontières. Maintenant on peut manger une pizza sur la Lune, mais la première que j’ai mangée, c’est bien là-bas. Une chose que j’ai aussi découvert, c’est les aubergines. Ca j’ai adoré, j’ai bouffé les portions de toute la tablée, mes copains n’avaient pas l’air d’aimer ça. Par ailleurs, je me suis assez vite fait une réputation de goinfre. Ce n’était pas vraiment de ma faute, mais j’avais toujours faim et j’attendais l’heure des repas avec impatience.
Par la magie de Google, je suis parti à la recherche des ces lieux et à ma grande surprise, ils existent encore.
La colonie, à peu près 200 garçons et filles logeaient là-dedans
A l’époque ce n’était qu’une petite baraque, mais c’est là que j’ai mangé ma première pizza
Dans la cour devant cette maison, un soir, nous avons eu droit à une séance de cinéma, un film avec des pirates
La même sur une photo datant de 1957
A l’époque cela ressemblait plutôt à ceci. Cette photo aérienne date d’après 1958, date de la construction du gratte-ciel que l’on voit au fond
Les baignades faisaient partie de notre quotidien, mais pendant quelques jours nous n’avons pas pu faire trempette, la mer était agitée par de très grosses vagues. Il y avait une bonne raison à cela, on nous avait informés, la raison était tragique, mais nous on s’en foutait, égoïstement. Sans doute un moment d’inquiétude pour nos parents, c’était presque en face. Il était question de ceci.
Mais bon, je vous avais promis une histoire de nylon, la voici. Je l’ai déjà racontée à quelque part. Mais comme je sais que vous avez la mémoire courte, je vais vous la servir à nouveau, vous n’y verrez que du feu. Mais avant quelques souvenirs musicaux pour situer les événements pour les plus anciens. Si les dates ne sont pas ancrées précisément dans les mémoires, la musique aide. A la radio on entendait ceci…
Alors prêts pour cette promenade en nylon?
En 1963, pour les filles de mon âge, il n’était pas encore question de porter des bas nylons. Je n’en ai pas vu sur les jambes de mes petites camarades. Par contre chez les monitrices, c’était possible, j’en avais justement une de monitrice. Alors voici l’anecdote.
Elle devait avoir dix-huit ans à tout casser, cheveux courts et lunettes, elle était plutôt jolie. Un soir, alors que nous avions organisé un jeu de nuit, j’ai remarqué qu’elle avait mis des bas sous son pantalon. Mais oui, je m’intéressais déjà à la chose, si cela vous interloque. J’en fus un peu surpris, car il était très loin de tomber des flocons de neige en ce mois de juillet. Je me souviens très bien que j’ai failli lui en faire la remarque, ce qui n’aurait sans doute pas manqué de l’étonner, mais je n’en fis rien. Je me suis régalé autant que possible du spectacle de la bosse des jarretelles, bien visibles. Marie-Thérèse, si d’aventure c’est le nom de la personne qui lit ces lignes et qui était monitrice en colonies de vacances du côté de Cesenatico, il y a bien longtemps, il pourrait bien s’agir de la même personne. Alors, étonnée de voir quel souvenir j’ai gardé de toi? Si tu habites toujours dans le même coin qu’à l’époque, moi aussi, alors on pourrait prendre un verre ensemble, non?
Ce n’était pas tout à fait mes débuts, car quand je n’étais pas en vacances au bord de la mer, le reste du temps, j’étais à l’école. Cette même année, que je situe par rapport à la classe dans laquelle j’étais, je jouissais parfois d’un joli spectacle. Quand c’était l’heure de la récréation, deux fois par matin, nous allions dans la cour autour de l’école. Quand la cloche annonçant le fin de la récré, il fallait retourner en classe, ces dernières se trouvant au premier étage. Il y avait dans les classes supérieures une fille qui devait avoir 3 ou 4 ans de plus que moi, le genre belle plante qui ne pousse pas dans un pot. Bien sûr, j’avais remarqué que quelques fois, elle portait des bas. Aucun doute n’était permis, nous étions en 1963. Pour monter au premier, il y avait des escaliers qui faisaient demi-tour à mi-hauteur. Alors je m’arrangeais pour être en dessous avec le meilleur point de vue possible. Avec un peu de chance, j’apercevais une lisière de bas et une amorce de jarretelle, j’étais aux anges. Quel coquin ce Boss, si jeune et déjà passionné.
De ces fameuses vacances, il me reste quelques souvenirs, ceux que j’ai bien voulu garder. Je serais bien incapable de citer le nom d’un copain d’alors. Il me reste celui de la monitrice et celui d’une fille qui me souhaitait toujours bonne nuit quand c’était l’heure d’aller coucher, nous passions dans le dortoir des filles pour aller dans le nôtre. Elle s’appelait Laure. Je garde un beau souvenir d’elle, un souvenir du plus beau romantique. Une nuit, alors que j’étais allé au petit coin, toujours en traversant le dortoir des filles, je la vis en train de dormir avec le clair de lune qui inondait son visage. C’est con parfois comme les choses vous restent, mais c’est une scène que je n’oublierai jamais. Je l’ai revue une fois, cinq mois après, à la messe de Noël. Le Boss à la messe? Eh oui, mais j’ai des excuses, j’étais jeune et encore plein d’illusions. Je vais être honnête, papa avait promis que nous irions dîner après dans un des meilleurs restaurants de la ville, ma piété ressemblait plutôt à des quenelles de brochet sauce nantua.
Je vais un peu philosopher sur la vie, ces souvenirs remontent à plus de 18 250 jours, un paille quoi. Si ma vie a été souriante dans les grandes lignes, je fais tout pour, je me demande bien que sont devenus tous ces visages que j’ai pour la plupart oubliés, des ombres qui ont croisé la mienne. Je peux toujours essayer de lancer un appel pour en retrouver quelques uns. Critères sélectifs: si vous étiez en vacances à Cesenatico en 1963, que vous avez environ 60 ans. Si tu t’appelles Laure, ou si votre femme s’appelle Laure ou Marie-Thérèse et qu’elle réponde aux critères précédents. Nous étions 200, il doit bien y en avoir un qui passera peut-être par ici, alors on échange nos souvenirs?