Nylon Bar

L'apéritif en nylon

Paris – Nylon 77

Poster un commentaire

Une série d’anecdotes qui se déroulèrent à Paris en 1977. Au fil du récit, je vous emmène dans un ou deux lieux qui rappelleront sans doute quelque chose à ceux qui connurent le Paris de cette époque. Toute ressemblance avec des personnages ayant existé est bien sûr tout à fait volontaire

Vers le milieu  des années 70, j’ai commencé à séjourner à Paris d’une manière assez régulière. Pour moi, ce n’était pas tellement le fait d’aller tester si les Parisiennes portaient des bas ou des collants, mais bien celui de compléter ma collection de disques avec quelques pièces qui lui manquaient cruellement pour être parfaite, ou du moins je me l’imaginais. Il n’y avait pas tellement de solutions, le marché du disque de collection était balbutiant. L’une d’elles, une des seules d’ailleurs, était d’aller farfouiller aux puces de Saint-Ouen. Sans trouver toujours mon bonheur, j’ai quand même mis la main sur quelques pièces intéressants. Le prix que je payais alors me fait bien rigoler maintenant, car pour le même disque je devrais payer 10 fois plus aujourd’hui. J’avais emmené avec moi un copain qui était aussi un peu collectionneur, mais dans une moindre mesure, lui ne recherchait pas spécialement des pièces rares. La chasse aux disques nous occupaient pour une partie de notre temps, pour le reste on jouait un peu les touristes. Au cours de ces pérégrinations, alors que le collant était presque une norme incontournable,  j’ai redécouvert quelques paires de bas, que quelques dames avaient remis dans leur tenue vestimentaire et surtout sur leurs jambes. Le soir notre quartier général était Pigalle, pas tellement pour dire bonjour aux dames qui faisaient les cent pas sur les trottoirs, mais pour les salles de jeu. Une de ces salles portait le nom de Minuit Chansons. Cet endroit de Pigalle, qui n’existe plus, dont René Fallet parle dans son roman éponyme de 1949, était un de ces lieux où l’on pouvait écouter des chansons quand les boîtes à musique étaient un luxe. Avec le temps, sa destination première avait fait place à des flippers et les premiers jeux vidéos, très simplistes quand on connaît ceux d’aujourd’hui. J’ai encore la photo des lieux en mémoire et surtout les deux pépés, pipe au bec, qui étaient chargés de faire de la monnaie en pièces de cent balles, nourritures principale des appareils. Notre hôtel étant situé dans un autre quartier, nous prenions le métro pour nous rendre sur les lieux. Un soir, alors que nous nous rendions dans notre port d’attache  assis dans le métro, un couple monta dans la rame. Je n’y prêtais pas spécialement attention, d’autant plus que je tournais le dos. Ils s’assirent derrière nous. Le métro repartit, le couple papotait en allemand. Un bruit attira mon attention, celui d’un crissement que je comparais à celui du nylon de bonne facture quand on croise le jambes. Je me retournai, mine de rien,  je constatai que les jambes de la dame étaient gainées de noir et que c’était bien quand elle les bougeait que le bruit se produisait.  J’en arrivai à le déduction que seuls des vrais bas pouvaient produire cette mélodie si chère à mes oreilles. A la station Pigalle, je vis avec satisfaction que le coule s’apprêtait à descendre. Je traînai un peu les pieds pour que le couple me dépasse. La chose faite, je vis que la dame portait des bas à couture qui me semblaient authentiques. En montant les escaliers pour sortir, placé trois ou quatre marches derrière, le doute ne fut plus permis, je vis distinctement la lisière de ses bas. Ainsi donc dans ce monde de sauvages, il existait encore des dames qui portaient des bas, chose rarissime et spectacle d’autant plus merveilleux. Cela me rendit d’une humeur facétieuse. Un peu plus tard, cette humeur badine s’exprima à sa manière, au détriment d’un clochard qui y trouva quand même son compte. Je vais vous raconter cette anecdote, juste pour le fun. Une de ces pauvres cloches, comme on dit à Paris, plié à l’équerre promenait son regard sur le trottoir. Visiblement, il cherchait quelque objet qui aurait pu lui donner un début de richesse perdu par un passant. Je mis le copain dans la confidence et le petit scénario se déroula comme prévu. Comme il y avait foule, je précédai le clochard de quelques mètres. Je lâchai une pièce de cent balles en posant le pied dessus. Quand il arrivait à ma hauteur, je partais, il trouvait et ramassait la pièce avant que quelqu’un d’autre l’aperçoive. Je dois bien avoir posé dix pièces de cette manière. Et le pauvre hère croyait avoir trouvé le début du filon qui le menait à l’Eldorado. Ah si nous avions eu une caméra digitale, c’était bon pour vidéo gag. Enfin c’est comme dans La Fontaine, tout chercheur d’or vit aux dépends de celui qui le sème, enfin quelque chose comme ça.

Du nylon! Du nylon! Oui je sais vous êtes venus ici pour cela. Eh bien en voici! Le seconde histoire, pendant le  même séjour, se déroula un autre soir. Nous étions dans notre fief, Minuit Chansons.  Voici une dame qui entre dans la salle, seule, et qui commence à tournicoter autour des appareils.  A première vue, elle ne craint rien, je crois bien que c’est le genre à dire si elle se fait aborder: c’est 200 francs! Elle est si l’on peut dire en tenue de travail. Je précise. En ces temps de disette, les hommes rêvaient tellement de voir des bas sur les jambes des femmes, que pas mal de prostituées arboraient cet accessoire sans hésiter. C’est peut-être de là que vient cet amalgame malfaisant, bas = femme facile. Rétablissons une certaine vérité. Les hommes allaient passer un moment avec ces dames, car ils en avaient marre de bouffer du collant. Ce qu’on ne trouve pas à la maison, on le cherche ailleurs, c’est bien connu. Cette gente dame, qui était tout sauf bien roulée, une rouquine plutôt grassouillette, portait visiblement des bas sous sa robe d’un rouge pétant. Les bosses de ses jarretelles étaient très visibles. Faisait-elle sa pause syndicale, prospectait-elle le terrain, afin de remplir son bas, c’est le cas de le dire, je n’en sais rien. Elle est partie au bout d’un moment et se perdit dans la nuit.
La troisième vision eut lieu lors d’un concert, ou juste après. J’avais repéré sur une affiche qu’un certain Clifton Chenier se produisait au Palace. Le Palace, c’est bien lui, mais il n’était pas encore le lieu mythique qu’il est devenu depuis. C’était un théâtre presque à l’abandon qui jonglait entre théâtre et concerts. A l’affiche, un chanteur cajun qui lorgne du côté de la France à sa manière. Il chante dans la langue de sa Louisianne natale,  base de français déformé par quelques lustres d’américanisme forcé. Et en plus, il s’accompagne au piano à bretelles. Il est étiqueté comme bluesman, c’est en partie vrai, mais ses chansons font surtout partie d’un folk  importé par la tradition francophone. A l’issue du concert, nous sommes quelques uns en file derrière une table où l’on vend des disques de l’artiste.  Devant moi à côté de la file, j’aperçois une fille qui porte des bas à couture et des bottes. Je suis un peu étonné du spectacle, mais je m’en réjouis. Sa jupe en velours côtelé ne laisse apparaître aucune bosse qui pourrait me confirmer que c’est bien des bas. En arrivant à sa hauteur, je remarque les petites piqûres de la diminution, donc ce sont bien des vrais bas. Une fois les disques achetés, j’aimerais bien compléter par un autographe de Chenier, mais où est-il? Par bonheur, le bassiste de l’orchestre erre par là. Je me souviens toujours de son nom Joe Brouchet, on lui pose la question et il nous demande de le suivre. Ils nous emmène dans un  dédale de petites rues vers un hôtel caché dans un coin. On pénètre et dans le hall, Chenier est assis dans le hall entouré d’une nuée de filles qui lui font des sourires. A mon avis c’est un chaud lapin, mais ces filles sont sans doute des professionnelles en attente d’un choix de la part de l’artiste, il ne va pas quand même s’envoyer tout ça. Il nous signe nos disques, l’air étonné car il ne semble pas connaître les séditions, et nous serre la pince. Au revoir Mister Chenier, j’ai passé une excellente soirée musicale teintée d’un soupçon de nylon.

Mes visions coquines eurent une suite inattendue, dans le train sur le chemin du retour. En me rendant au bar, vous voulez que j’aille où, je tombe sur un copain d’enfance. Sa mère fut une de mes profs à ma première année d’école,  il rentrait lui aussi d’un séjour à Paris, avec femme, papa et maman. Je savais  que c’était un allumé du bigoudi farceur, même un peu homo sur les bords. Il me raconte son séjour à Paris qui consiste en tournées enchaînées de tous les lieux dits légers, une floppée de boutiques de lingerie. Etant pour le moment seul dans le compartiment, il ouvre une valise pour me montrer les achats. Il y a cinq ou six porte-jarretelles, deux ou trois guêpières assez peu conventionnelles et des emballages de bas à perte de vue mélangés a des culottes plutôt coquines. Ah il doit pas s’ennuyer pendant les longues nuit d’hiver. Je file au bar au bar avec lui et il me présente sa femme que je connais pas vraiment. Elle est bien sûr en robe avec des bas noirs. Des bas? Mmmmh c’est presque sûr. Sa mère me fait un accueil chaleureux. Si elle savait qu’elle fut un de mes premiers éveils en matière de nylon, avec ses bas qu’elle portait parfois avec des coutures.
– Ah mon petit… comment vas-tu?  Passons le tutoiement, mais je ne suis pas petit, j’ai une tête de plus qu’elle.
– Alors Paris, c’est bien?
– C’est une ville assommante!
A mon avis, fils et belle-fille doivent penser autrement

Laisser un commentaire