
Les souvenirs de la tragédie de la première guerre mondiale s’éloignent. La seconde moitié des années 2o marque une période d’insouciance nuancée. Le progrès va de plus en plus vite. Il n’y a pas si longtemps les voitures se traînaient à la vitesse de l’escargot, maintenant elles commencent à ressembler à des petits bolides. L’aviation, principalement du fait de la guerre, a fait de gros progrès, on n’est pas loin de traverser l’Atlantique, cela se fera en 1927 par Lindberg. L’industrialisation n’est pas en reste, on tente de fabriquer tout et n’importe quoi dans les usines, par exemple des voitures. La soupe en sachet fait déjà partie du décor, l’appareil de téléphone n’est plus seulement utilisé par une élite, il entre dans beaucoup de foyers, on se parle entre continents. Le cinéma permet de distraire ou de voyager, on voit s’agiter les habitants de terres lointaines sur l’écran comme si on les avait en face de soi. Il ne lui manque que le son, il vient en 1927 avec le premier film du genre « The Jazz Singer » avec pour héros un acteur blanc grimé en noir, Al Jolson. L’avènement du parlant finira de le propulser au firmament des plaisirs que tout le monde peut s’accorder. Il se fera aussi un moyen de réflexion pouvant servir de tremplin pour exprimer ses idées. Justement, cette vie qui semble tourner trop vite pour certains va susciter une réaction que fera le tour du monde via le film de Chaplin « Les Temps Modernes ». C’est son premier film politique, sorti en 1936, juste le temps nécessaire pour prendre le recul nécessaire à leur analyse.

Et la mode dans tout cela? Eh bien elle continue son bonhomme de chemin. Evidemment il n’y a pas tous le jours un nouveau courant qui se crée. Quelques fantaisies viennent bousculer l’ordre établi, comme la ceinture de bananes de Joséphine Baker qui fait se déplacer les foules à Paris. C’est une version exotique de la mode qui se cantonnera à la scène, on ne verra pas les bourgeoises se promener dans la rue en l’arborant comme l’ultime gadget pour se faire remarquer. Depuis la venue des garçonnes, la lingerie et le corps se montrent avec certain manque de pudeur relatif à ce que ces temps peuvent encore contenir de conservateurs. Ce qui est positif dans le succès de Baker, c’est l’avènement de la femme noire, star en France et presque déchet dans certaines régions de son pays d’origine, les USA. Mais ne nous trompons pas, son jeu de déhanchements suggestifs passent d’autant mieux chez une artiste noire, car on l’assimile volontiers à un comportement tribal, pratique théoriquement en cours dans une certaine sous-civilisation. Elle prouva par la suite que l’action sociale n’était pas seulement le fait des Blancs en s’engageant activement dans la résistance, en luttant contre le racisme, et en faisant vivre une communauté d’orphelins qu’elle a adoptés. La marque de lingerie Princesse Tam Tam est inspiré d’un film dans lequel elle a tourné.

Une chronique de presse de 1926 révèle l’influence qu’a pu avoir Joséphine Baker sur la mode, du moins sur le teint de la peau. La blancheur, alors de rigueur, cède le pas au bronzage. Depuis les choses n’ont pas tellement changé.



La musique contribue indirectement à la mode vestimentaire. La chanson traditionnelle a encore sa place, bien franchouillarde, sortant du 78 tours qui tourne sur la gramophone qui trône au salon. Toutefois les échanges entre continents apportent un vent nouveau, le jazz. Dans un premier temps, cette musique s’adresse plutôt à des amateurs branchés dont la bourgeoise n’est pas exclue. Si on l’écoute encore d’une oreille distraite, par contre les pistes de danse se trémoussent sur les pas de charleston. Difficile de se mouvoir avec aisance sur cette danse plutôt remuante quand on est harnaché dans un corset. La bourgeoise qui a découvert et en partie adopté le prêt-à-porter, peut se lancer sur la piste et danser toute la nuit. On peut jouer jeu à peu près égal entre les classes sociales le temps d’un port de vêtement. Certains petits détails remettent les choses en place. La bourgeoise couvrira ses jambes avec des bas de soie, les autres se contenteront de bas en rayonne, moins élégant et plus fragile, mais aussi nettement moins cher. Ils se distinguent par l’aspect, mat pour la soie, brillant pour la rayonne. On triche un peu, on poudre ceux en rayonne pour en diminuer la brillance. Dans les endroits peu éclairés comme un pont de danse, cela peut faire illusion.

Même les grands couturiers tiennent compte de cette tendance à la simplicité, Coco Chanel, qui brille déjà sur son empire y va de sa robe noire toute simple, en 1926. Par définition les dessous suivent le mouvement. Depuis des siècles d’histoire dans la bonne société, on n’a jamais été aussi peu légèrement vêtu en matière de lingerie, on assure le minimum. C’est encore une chose à mettre au crédit de la libération de la femme, le sous-vêtement devient fonctionnel. C’est aussi dans les années 20, que les dessous inspirent ce qui se porte dessous après quelques timides tentatives antérieures. Le chemise de nuit devient peu à peu une robe qui se veut légère. Il s’en faudra encore de beaucoup pour se trouver dans la situation actuelle où certaines femmes abandonnent toute forme de coquetterie en matière de lingerie, mais l’idée est là.
De son côté, René Lacoste se présente au tennis avec un polo de coton sur lequel il arbore son fameux crocodile. L’homme qui porte encore volontiers des combinaisons d’une pièce, qui font camisole et slip en même temps, l’abandonne peu à peu. La mise au point du latex permet un petit miracle, des ceintures élastiques remplacent tout ce qui pouvait aider à la tenue des sous-vêtements. Les Américains popularisent le short comme pièce vestimentaire portée dessous. Pour faire bonne mesure, la camisole et le tee shirt complètent la panoplie.
Les plaisirs de la vie, l’amusement, auraient pu continuer leur ronde incessante. Un grand coup de frein à l’économie en plein essor survient en 1929. Le 24 octobre, commence le krach de Wall Street. La raison principale en est la spéculation, à l’instar d’aujourd’hui on croit déjà que l’on peut gagner toujours plus d’argent sur du vent. On a raconté beaucoup de choses sur cet événement. Pour une fois, je possède un témoin direct, mon père. En effet, il est parti cette année-là faire la conquête de ce qui apparaissait alors comme l’Eldorado. Il a embarqué au Havre sur le paquebot Rochambeau, on va encore en Amérique en bateau ou à la nage. Le jour du krach, il est à 2 jours d’accoster à New York. Comme il me l’a affirmé, et contrairement à ce que l’on a souvent dit, il n’y avait pas des émeutes dans les rues et des gens qui se jetaient par les fenêtres. Tout au plus quelques gros attroupements, le plus souvent dans dans un calme parfait. Ce qui me fait le plus sourire dans cette histoire, c’est que je suis probablement venu au monde à cause de ce krach. Retourné au pays, il se remariera bien plus tard et aura un fils, votre serviteur. Je n’ose imaginer ce qu’il aurait pu advenir de moi s’il avait fortune là-bas en industrialisant son plat favori, la piccata milanaise!


Une crise mondiale suivra et sera un des moteurs du déclenchement de la seconde mondiale. Mais comme nous le verrons, le mode et ses dessous se moquent bien de l’histoire.
Quelques événements
1927 – Premier succès de librairie pour Agartha Christie « Le Meurtre de Roger Ackroyd ».
1928 – C’est l’année de naissance de Mickey. Un roman à scandale « Puits de solitude » de l’Anglaise Radclyffe Hall, traite ouvertement de l’homosexualité féminine.
Une des rares revues consacrée aux dessous change de nom en 1928 et devient « Le Corset de France Et La Lingerie ». Etrange que l’on prenne pour nom principal une pièce de lingerie très décriée et en net déclin.


1929 – Naissance de Tintin
A suivre